Le professeur
"Tournesol dans le gazole" a des ennuis à la douane
LE MONDE | 02.07.01 | 13h46 | chronique
Hormis un "léger retard au
démarrage", la 205 Peugeot diesel d'Henri Barbe tourne comme une
horloge. "Sur l'autoroute, il m'arrive même de doubler des BMW à 140,
150 à l'heure, s'émerveille-t-il. C'est à croire que cette voiture
était conçue pour carburer à l'huile de tournesol." Depuis cinq ans,
M. Barbe, professeur d'histoire-géographie dans un lycée d'Agen, ne cesse
de vanter à ses élèves les mérites de cette huile végétale qu'il mélange à
50 % avec le gazole dans le réservoir de sa voiture.
Après 485 000 kilomètres effectués sans
aucun réglage ni modification de la structure du moteur, les problèmes ne sont
pas venus de la mécanique, qui "marche très bien", assure
M. Barbe. Ce sont surtout les services de la douane qui n'ont pas apprécié
les expérimentations auxquelles le professeur "Tournesol dans le
gazole", militant écologiste, et une vingtaine d'amis se livrent depuis
1996 au sein de leur société, Valenergol, ou "valorisation
énergétique des oléagineux".
Dotée d'un capital de 60 000 francs,
cette SARL produit, à partir des graines de tournesol, de l'huile végétale
brute (HVB) pour la carburation et la lubrification de 120 moteurs dans la
région agenaise. Une fois pressés, trois kilos de graines permettent en effet
d'obtenir un litre d'huile pour les moteurs et deux kilos de tourteaux destinés
à l'alimentation du bétail. Aux yeux de ses concepteurs, la pratique n'a que
des avantages : sans subventions de l'Etat, elle fournit un nouveau
débouché économique aux agriculteurs de la région, un carburant bon marché
(4 francs le litre) qui diminue les rejets gazeux à effet de serre, et une
alimentation riche en protéines pour l'engraissement des animaux.
Pour la direction nationale du renseignement et
des enquêtes douanières (DNRED), elle représente surtout un manque à gagner au
titre de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), chiffré, lors
d'une série de contrôles effectués en 1998, à 49 225 francs. Les
enquêteurs de la douane ont calculé que Valenergol avait produit
entre 1995 et 1997, sans autorisation, un minimum de 10 000 litres
d'huile de tournesol d'une valeur de 35 000 francs, en infraction
avec une directive européenne de 1992 selon laquelle "tout produit
destiné à être utilisé en vue d'accroître le volume final des carburants est
taxé comme un carburant". Le droit français dispose en outre que le
critère d'imposition d'un produit à la TIPP est "son utilisation comme
carburant et non sa nature". Résultat : l'huile végétale de
tournesol, qui n'a pourtant pas grand-chose à voir avec le pétrole, est taxée
au taux des essences plombées, 4,30 francs le litre.
"A ce tarif, nous ne sommes plus
compétitifs", se désole Alain Juste, le gérant de Valenergol, cité à
comparaître devant le tribunal de police d'Agen, le 20 septembre, pour
avoir "commis une manœuvre ayant pour résultat de faire bénéficier son
auteur d'une exonération" de la taxe sur les produits
pétroliers. Depuis des années, il réclame au ministère des finances
l'application à l'huile de tournesol des exonérations fiscales dont bénéficient
déjà les biocarburants.
Ses espoirs sont minces : la commission
chargée des dérogations applicables aux biocarburants est composée à parité de
représentants des compagnies pétrolières et de fonctionnaires des douanes.
Alexandre Garcia